François Jarrige : « Une technique n’est jamais neutre »
Historien de l’industrialisation et de la classe ouvrière, François Jarrige a publié en 2014 Technocritiques (La Découverte). Dans ce livre, qui se présente comme une sorte de contre-histoire du progrès, il revient sur trois siècles de contestation des machines. Nous publions ici l’interview qu’il nous a accordé dans le cadre de l’enquête sur les technocritiques publiée dans le nouveau numéro d’Usbek & Rica (à découvrir également en version numérique augmentée).
On entend peu de voix critiquant la technologie aujourd’hui en France. Serait-on dans une phase historique de recul de la technocritique, comme cela a pu être le cas dans les années 1980 ?
C’est une question compliquée. À vrai dire, je n’en sais rien car c’est difficile d’avoir le recul historique nécessaire. Nous sommes dans un moment profondément ambivalent où les doutes sur les choix techniques et l’avenir technique qui se construit sont assez largement partagés, mais ils rencontrent en permanence une injonction à l’innovation et une multitude de discours technoprophétiques débridés. Si on écoute les médias, on a l’impression de subir aujourd’hui une explosion des technocritiques. Je fais notamment allusion à ce texte signé par trois anciens ministres sur la soi-disant « peur de l’innovation » en France, ou bien encore au livre Alterscience (Odile Jacob, 2013), de l’ingénieur Alexandre Moatti, qui peut donner l’impression que la technocritique est l’une des grandes menaces qui pèserait aujourd’hui sur la société française. En réalité, on entend assez peu de voix technocritiques radicales en France. Il y a le collectif Pièces et Main d’Oeuvre, les éditions L’Échappée – qui propose un travail remarquable et de qualité mais plutôt marginal – et surtout les mouvements sociaux qui se constituent pour contester les « grands projets d’aménagements inutiles » de Sivens, Roybon ou Notre-Dame-des-Landes.
« Il n’y a pas un enthousiasme mais plutôt une forme de désintérêt vis-à-vis de la technologie »
Contrairement à ce qui a pu se passer au XIXe siècle, la contestation de la technologie vient aujourd’hui surtout des milieux intellectuels et scientifiques mais plus vraiment des milieux populaires. Comment expliquer ce renversement historique ?
Il ne faut pas oublier que le mouvement ouvrier qui s’est construit et institutionnalisé à la fin du XIXe siècle a longtemps partagé les espoirs et les enthousiasmes pour la mécanisation. Le discours marxiste dominant, c’était que le problème n’était pas la technique mais les usages sociaux de la technique. Pour Marx il fallait distinguer les effets à court terme potentiellement néfastes et les effets à long terme bénéfiques de la machine. Après, pour répondre à votre question, le problème, c’est que ce mouvement ouvrier s’est effondré. Cela dit, les milieux populaires ne parlent pas plus aujourd’hui qu’ils ne parlaient au XIXe siècle et je ne suis pas sûr du tout que ces « milieux populaires » que vous évoquez soient tous enthousiastes devant les objets high tech que vantent la publicité. À mon avis, pour beaucoup d’individus, il n’y a pas un enthousiasme mais plutôt une forme de désintérêt vis-à-vis de la technologie. Et ce désintérêt est plus fort que ce que les médias veulent bien raconter. Le souci, c’est que les gens n’ont pas vraiment le choix parce que la société actuelle est modelée par les objets et réseaux techniques. Du coup, on ne peut plus vraiment se passer de tout un tas d’objets par ailleurs parfaitement inutiles si on y pense un instant. Et puis, il y a un facteur générationnel à l’œuvre : la nouvelle génération qui arrive aux commandes et prescrit les usages est beaucoup plus technophile que par le passé. Pour résumer, je dirais donc qu’il y a une minorité d’enthousiastes, une autre minorité de résistants, mais que l’immense majorité des gens suit le mouvement. Le grand changement, c’est qu’aujourd’hui, la technologie est beaucoup plus prescriptive qu’auparavant : chaque fois qu’on fait face à un problème politique, social ou économique, la solution mise en avant est technologique. Les gens souffrent de solitude ? On répond en développant les communautés virtuelles…
Dans votre livre, vous développez l’idée que la technologie n’est pas et n’a jamais été neutre. Est-ce qu’Internet ne change pas un peu la donne ? Une monnaie virtuelle comme Bitcoin peut vraiment être utilisée pour le pire comme pour le meilleur, non ?
Internet a modifié beaucoup de chose. Dans les années 1980-1990, on a assisté à une réactivation de l’enthousiasme technologique avec l’idée que ces technologies offraient de nouveaux instruments de pouvoir. Un nouveau discours s’est développé – Internet redonnerait de l’autonomie aux acteurs – qui a contribué à réactiver l’argument de la neutralité de la technique. Bien sûr qu’un outil peut (presque) toujours faire l’objet d’usages différents, mais le numérique crée surtout un nouveau milieu, un nouvel espace de vie, il redéfinit le champ des possibles. Le débat est un peu faussé : une technique n’est jamais neutre car elle redéfinit toujours les rapports sociaux. Il faut comprendre que ce thème de la neutralité s’est construit historiquement mais pose problème, il vise à empêcher toute réflexion réelle sur les choix techniques et les dispositifs techniques eux-mêmes pour renvoyer le débat à la question floue des usages…
« Le hacker, c’est le révolutionnaire libertaire à la mode « fin du XXe siècle »
Dans votre livre, vous parlez très peu de la figure du hacker. D’autres voix critiques de la technologie sont très sévères à l’égard de cette nouvelle figure militante. En quoi le hacker bouleverse-t-il les codes habituels de la contestation politique et sociale ?
Dans son livre L’emprise numérique (L’Échappée, 2012), Cédric Biagini critique l’idée que les récentes révolutions – notamment les Printemps arabes – n’ont été possibles que grâce à Internet. C’est une critique légitime, je pense. Car en soulignant le rôle de Facebook dans ces révolutions, il y a ce sous-entendu qu’à travers ces outils diffusés par les occidentaux, c’est un peu grâce à nous que ces révolutions ont eu lieu. Cette logique dissimule les vrais moteurs des révolutions. Après, pour Biagini, le militantisme numérique est forcément mou. En ce qui me concerne, je dirais plutôt qu’il y a une forme d’ambivalence : quand on signe une pétition derrière son écran, par exemple, on a un sentiment de puissance mais c’est une puissance illusoire et vaine car on a aussi le sentiment que notre signature ne change pas grand chose au cours du monde… Pour en revenir à la figure du hacker, je pense qu’il s’agit de la réactivation de la figure du révolutionnaire comme avant-garde éclairée de la révolution. Le hacker s’inscrit ainsi dans une continuité historique : il ne s’agit plus de monter sur une barricade mais de maîtriser l’outil technologique. Le hacker, c’est le révolutionnaire libertaire à la mode « fin du XXe siècle ». Ce qui pose problème, par contre, c’est l’idée qu’il faut d’abord devenir un expert des outils techniques pour pouvoir les détourner. On peut interpréter ça comme une forme de propagande : finalement, c’est une façon de sortir le numérique du débat politique puisque le numérique ne serait que le préalable à l’action et à la critique. Et puis, c’est une vision un peu élitiste de la révolution.
« L’objectif de ces mouvements n’est pas de convertir les masses »
Si la critique radicale de la technologie est si peu audible aujourd’hui, n’est-ce pas parce que les voix qui la portent se risquent parfois à des discours très contestables sur d’autres sujets de société. Je pense par exemple à Pièces et Main d’œuvre sur la question de la PMA ou à Cédric Biagini sur la musique techno…
Avec l’essai sur la musique techno publié aux éditions L’Echappée, PMO s’est sûrement fermé des portes. Et avec ses écrits sur la PMA, le groupe Pièces et Main d’Oeuvre a été accusé un peu vite d’être homophobe alors qu’il défend en réalité des positions plutôt féministes. Il est certain que ces discours sont parfois marqués par une forme de radicalisme qui peut contribuer à disqualifier leur propos dans certains milieux. Mais ils sont volontairement dans la provocation, ce sont des lanceurs d’alerte, ils font volontairement le choix de la dissidence, du dissensus contre le consensus mou qui domine un peu partout et qui, au final, rend impossible tout réel débat. Ce n’est pas la radicalité qui disqualifie leur démarche car ils restent marginaux. Et puis, il faut bien avoir à l’esprit que l’objectif de ces mouvements n’est pas de convertir les masses : le collectif Pièces et Main d’Oeuvre n’a pas pour ambition de conquérir l’opinion ; il affirme des convictions politiques sur des enjeux essentiels et qui restent tus dans les médias dominants.
Qu’il s’agisse du collectif Pièces et Main d’œuvre, des zadistes ou bien du Comité Invisible, les voix technocritiques sont souvent anonymes. Pourquoi ?
L’anonymat n’est pas une idée neuve. C’est plutôt une stratégie de communication qui s’inscrit dans la tradition des mouvements libertaires et anarchistes, dans un imaginaire romantique, dans le souvenir des mouvements révolutionnaires du XIXe siècle. Mais au-delà de cet aspect, c’est justement un choix de résistance face à la transparence ; c’est une mise à l’écart, en retrait, pour mettre le collectif au cœur de l’action. Ça peut avoir des effets contreproductifs mais ce sont des mouvements en rupture. Les animateurs de PMO restent volontairement dans l’anonymat à cause des pressions que suscitent leurs prises de positions, qui sont loin d’être simples à assumer publiquement. Mais ça ne change pas grand-chose à l’efficacité de leur action. En tout cas, ça traduit un refus démocratique de la prise de posture de l’intellectuel prophète qui expliquerait le monde aux masses.
« La technologie reste associée à des croyances irrationnelles »
Les voix technocritiques les plus radicales sont les seules à être un peu audibles non ? Qui se livre aujourd’hui à une critique modérée de la technologie ?
La technocritique modérée existe, même si je ne suis pas tout à fait convaincu que cette distinction entre une critique modérée et une autre radicale soit très pertinente. Prenez par exemple Une question de taille (Stock, 2014), le dernier livre du philosophe Olivier Rey : il s’inscrit dans la continuité d’Ivan Illich et de son concept de « contre-productivité » des techniques une fois que celles-ci accèdent à une taille critique. Le mouvement Technologos, plus proche de la pensée de Jacques Ellul, développe également un discours critique. Le problème, c’est que si une critique est trop modérée, personne ne l’entend. Ce qui, d’une certaine manière, valide plutôt le choix d’un discours radical. En tout cas, il est certain que la radicalité n’est pas ce qui empêche l’émergence d’un discours technocritique. C’est plutôt le fait que la technologie reste associée à des croyances irrationnelles. Critiquer la technologie, c’est forcément critiquer le progrès, les Lumières… Je pense qu’il faut cesser d’employer des mots trop vagues comme « progrès ». L’alternative n’est pas entre « la » technologie ou bien rien du tout. Le mouvement slow et celui des low tech sont des formes de technocritiques douces, avec une volonté de décentrer, de ralentir. Philippe Bihouix, l’auteur du remarquable livre L’âge des low tech (Seuil, 2014), est un ingénieur qui aime les chiffres et développe une analyse tout à fait concrète. Dans son livre, il montre bien que le TGV n’a pas été une évidence mais un choix stratégique lié à des implications économiques et politiques.
« La technologie repose toujours sur des tuyaux, des machines et des métaux rares »
Avec l’informatique et les algorithmes, le « monstre physique » dont on parlait au XIXe siècle pour qualifier la machine est devenu invisible, impalpable. Faut-il en conclure qu’un nouveau mouvement de briseurs de machines, sur le modèle de celui des luddites, est un scénario d’avenir fantaisiste ? Ou bien une révolte contre la technique est-elle possible si celle-ci finit par voler trop d’emplois ?
L’étiquette « néo-luddisme » ressurgit environ tous les trente ans. Mais je ne pense pas qu’on assistera à une forme de protestation sociale collective organisée et violente. Par contre, le remplacement des hommes par des machines pour de nombreux emplois, même qualifiés, va reconnecter la question technologique et la question sociale, alors que tout au long du XXe siècle, on a vécu dans l’idée que le progrès technique était forcément bénéfique à terme. Les pamphlets du sociologue Gérald Bronner contre le principe de précaution ne valent plus grand-chose… L’innovation a toujours existé et existera toujours. Les bonnes questions à se poser, sont : de quels types d’artefacts souhaite-t-on vraiment se doter, que doit-on produire, comment produire, pour quel but et pour répondre à quels besoins ? La technocritique est nécessaire car elle permet d’interroger les choix techniques qui sont faits sans le consentement de la population. Pour revenir à la dimension immatérielle des nouvelles technologies, il y a bien une forme d’irréversibilité qui contribue à donner un caractère magique aux outils numériques, ce que cherche à entretenir la publicité. Il suffit de voir le rapport qu’ont les enfants avec les écrans : très jeunes déjà, on favorise leur fascination immédiate pour les nouvelles technologies. Sauf que l’immatérialité est factice : la technologie repose toujours sur des tuyaux, des machines et des métaux rares. La matérialité de la technique est permanente, même si tout est fait pour la dissimuler.
Mais qui est ce « on » ? Qui est « l’ennemi » ? On a parfois le sentiment qu’il y a une dimension quasi complotiste dans le discours critique de la technologie…
C’est un point essentiel. Historiquement, le rapport de force entre les grands groupes privés et les individus lambda n’a jamais été aussi déséquilibré. Oui, il existe bien aujourd’hui des intérêts convergents qui agissent pour défendre leur cause, et il est essentiel de dénoncer ces intérêts convergents. Ce n’est pas tomber dans la théorie du complot que de tenir ce discours, même si j’ai bien conscience que la frontière peut parois sembler floue. Il n’existe pas « un ennemi » qu’il faudrait repérer et éliminer, qui serait responsable de tous les ravages du capitalisme… Ça, c’est la logique des complotistes et ses relents antisémites. Mais prenez par exemple le livre Les Marchands de doute (Le Pommier, 2012), des historiens des sciences Naomi Oreskes et Eric Conway, qui raconte bien les stratégies mises en place aux Etats-Unis pour délégitimer la moindre réglementation environnementale : on pourrait être tenté d’accuser ses auteurs de complotisme, mais personne ne l’a fait car leur analyse est juste et pertinente. La question, c’est : dans quel sens veut-on avancer, sachant que le monde ne va pas s’arrêter ? Pour certains, la meilleure manière d’appréhender le monde, c’est la multiplication des artefacts. Bon, ce n’est pas la seule…
Dans la conclusion de votre livre, vous parlez d’un nécessaire « renoncement » à certaines techniques. À quoi faut-il, selon vous, renoncer pour éviter de s’enfoncer dans une impasse ?
Les différents systèmes techniques fonctionnent avec des liens très étroits entre eux, c’est tout le problème. Après, il faut bien être conscient qu’en adoptant une nouvelle technologie, on renonce aussi à certaines manières de se parler, de se déplacer, on renonce à tout un tas de choses… Je ne vais pas faire ici la liste de tout ce à quoi on pourrait renoncer car ce serait un peu simpliste. Mais ce qui certain, c’est que je me passe facilement des chaussettes comportant des nanotechnologies et connectées avec une puce RFID qui mesurent et régulent la transpiration… Je me passe également très bien aussi des lunettes Google qui devaient soi disant changer notre rapport au monde, mais qui semblent finalement un échec… Aujourd’hui, il y a cette tendance à présenter la moindre découverte comme ayant une portée humaniste mais les innovations ont surtout une portée commerciale : on met des nanotechnologies et des puces sur tout et n’importe quoi ! Aujourd’hui, même les chats domestiques doivent être pucés alors que ça ne me semble pas être un enjeu crucial… En fait, on se rend compte qu’on pourrait renoncer à beaucoup de choses. Je vais vous faire un aveu : je n’ai pas de téléphone portable. Et les gens ne comprennent pas comment je peux être père de deux enfants et ne pas avoir de téléphone. Ce n’est pas un acte militant, ni vraiment une souffrance, plutôt un soulagement et un réel confort dans de nombreux cas.
« La vulgarisation technologique, c’est souvent de la propagande ordinaire »
Vous êtes assez sévère dans votre livre avec la notion de « vulgarisation scientifique ». La vulgarisation ne peut-elle être une démarche objective et désintéressée ? Et peut-on se passer des « débats publics » pour permettre l’échange d’idées et de critiques ?
La vulgarisation, c’est la diffusion du savoir par le bas. J’en fais en permanence en tant que professeur et qu’historien, donc je n’y suis évidemment pas opposé. Ce qui est intéressant, c’est de regarder comment elle fonctionne : on se rend compte alors qu’il s’agit très souvent d’un instrument de domestication des masses. La vulgarisation technologique, c’est souvent de la propagande ordinaire. Il faut plutôt encourager les formes de circulation des savoirs.
Justement, cette circulation doit passer par Internet non ?
Je ne suis pas certain qu’Internet introduise une discontinuité si forte que ça en matière de démocratisation du savoir, malgré la multitude d’avis autorisés qui défendent cette thèse. Avec Internet, on peut faire passer toutes les idées possibles, mais on peut aussi fabriquer de l’ignorance. On est quand même très loin de la société de la connaissance qu’on nous promettait. En pratique, c’est une énorme bouillie, comme disait le dessinateur Cabu qui utilisait peu le Net ça s’apparente souvent à un « robinet à conneries ». On le voit bien quand on demande aux élèves de faire un travail écrit à domicile, c’est terrible ! Est-ce qu’on est vraiment plus cultivé qu’il y a trente ans ? À mon avis, pas du tout. Aujourd’hui, entre universitaires, il y a ce débat sur l’open access, sur la mise à disposition de tout le savoir au nom de l’accès. Mais le problème, c’est qu’il y a une telle masse d’informations qui est diffusée que chacun se referme sur son domaine, sur ce qu’il a vraiment la capacité d’ingurgiter, ce qui favorise la formation de micro-communautés.
« Le mouvement des ZAD combine la critique morale, sociale et écologique de la technologie »
La critique de la technologie n’a-t-elle pas été avalée et dépassée par la critique écologique – je pense en particulier au succès des mouvements zadistes. Ou bien est-on en train d’assister à une fusion entre ces deux critiques qui se rejoignent sur de nombreux points ?
Encore une fois, il n’existe pas réellement de mouvement critique de la technologie mais une multitude de doutes et d’initiatives qui ne sont pas structurés de façon homogène. Les raisons de critiquer telle ou telle trajectoire technique sont multiples : elles peuvent être sociales, politiques, écologiques, selon les périodes l’un des enjeux s’impose sur les autres. Aujourd’hui les trois types de critiques se rencontrent, d’où la singularité du moment que nous vivons. Les ZAD sont constituées d’individus aux profils très différents, dont une bonne partie sont bien conscients que la question technocritique est essentielle. À Notre-Dame-des-Landes, la question technologique n’est pas totalement secondaire mais ils n’insistent pas là-dessus car ce n’est pas audible médiatiquement. Cela dit, critiquer un barrage et ses dégâts écologiques, ou bien la construction d’un aéroport, c’est bien un discours technocritique, car derrière, c’est aussi la critique d’un mode de vie lié à ce type d’infrastructures. C’est une manière de remettre en question les choix technologiques faits au XXe siècle. C’est encore un peu tôt pour avoir une analyse très poussée mais le mouvement des ZAD est intéressant parce qu’il combine la critique morale, la critique sociale et la critique écologique de la technologie, c’est-à-dire les trois grands champs de la technocritique telle qu’elle a pu s’exprimer depuis deux siècles.
François Jarrige est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne et membre de l’UMR-CNRS 7366. Il s’intéresse à l’histoire du travail, des conflits sociaux et des techniques et interroge l’histoire de l’industrialisation et de ses conséquences sociales et environnementales. Il a publié notamment : La modernité désenchantée, co-écrit avec Emmanuel Fureix (La Découverte, 2015) et Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences (La Découverte, 2014)
Image à la une : François Jarrige, interviewé à l’occasion de la Nuit des Chercheurs en 2012 (source : Daily Motion)