A la une du magazine, François Hollande apparaît vêtu d'une tenue nazie, attifé d'un brassard avec une croix gammée et affublé d'une petite moustache semblable à celle d'Hitler. L'hebdomadaire marocain Al Watan Al Ane a choisi de diffuser ce photomontage douteux en première page de son édition datée du jeudi 29 janvier, accompagné de ce titre : "Les Français vont-ils faire renaître les camps de concentration d'Hitler pour exterminer les musulmans ?"
Le magazine arabophone est tiré à environ "12 000 exemplaires par semaine", d'après son directeur de la publication, Abderrahim Ariri. "Auparavant, c'était un journal régional de Casablanca, explique à francetv info Youssef Roudaby, journaliste à TelQuel.ma, le site internet du magazine francophone Tel Quel, et auteur d'un article sur cette couverture. En 2006, c'est devenu un hebdomadaire national, mais son tirage et son impact restent limités par rapport aux autres. Il n'hésite pas à prendre position, mais il n'est pas habitué des unes à scandale."
"L'islamophobie a pris des proportions très inquiétantes"
Le directeur de la publication d'Al Watan Al Ane, Abderrahim Ariri, "assume" sans problème cette couverture et cette comparaison avec le régime nazi. "C'est une sonnette d'alarme pour la classe politique, au Maroc et en France, assure-t-il à francetv info. Depuis l'attentat contre Charlie Hebdo, nous avons beaucoup de témoignages qui nous indiquent que l'islamophobie a pris des proportions très inquiétantes en France."
Deux jours après les commémorations de la libération du camp d'Auschwitz, le journaliste n'hésite pas à comparer le climat actuel à la Nuit de cristal de 1938, survenue après l'assassinat d'un responsable du Troisième Reich par un juif réfugié en France. Cette nuit de pogroms en Allemagne et en Autriche se solde par le meurtre de 91 juifs et la déportation de 35 000 d'entre eux. "Hitler a considéré cet assassinat comme un don du ciel et en a profité pour mobiliser les Allemands contre les juifs, assure Abderrahim Ariri. L'acte terroriste est un don du ciel pour Hollande, qui en a profité pour se redonner une virginité politique."
L'offense envers un chef d'Etat punie par la loi marocaine
Scandaleux vu de France, ce discours est "symptomatique", juge Aïcha Akalay, directrice de la publication de TelQuel.ma. "Cela traduit un malaise au sein de la société marocaine, analyse la journaliste, interrogée par francetv info. A la fois un malaise des Marocains vis-à-vis des amalgames qui sont faits entre les musulmans et les terroristes et un malaise dans les relations entre la France et le Maroc."
Paris et Rabat, deux proches alliés aux relations d'ordinaire bien cadrées, traversent en effet une crise diplomatique inédite depuis près d'un an. Celle-ci est née puis a été alimentée par des dépôts de plainte en France contre de hauts dignitaires marocains, des impairs diplomatiques ou encore un rapprochement franco-algérien. Depuis, la coopération judiciaire a été suspendue par le Maroc et celle sur la sécurité est également fortement affectée. Interrogé à ce sujet par l'UMP Luc Chatel à l'Assemblée, le Premier ministre Manuel Valls a appellé mercredi les deux pays à "dépasser" cet épisode de refroidissement, "basé sur de nombreuses incompréhensions".
Ce contexte pourrait ne pas suffire aux tribunaux, note Tel Quel, puisque l'article 52 du Code de la presse marocain prévoit une peine d'un mois à un an de prison, ainsi qu'une amende, en cas d'"offense commise publiquement" envers un chef d'Etat étranger. Peu importe, répond Abderrahim Ariri. "Le rôle du journaliste, c'est de secouer", se justifie le directeur de la publication d'Al Watan Al Ane. Il persiste et signe dans la comparaison avec le régime nazi, évoquant un "holocauste virtuel" des musulmans de France. "Ils vivent sous la menace, sous une tension, craignant à chaque instant d'être victimes d'un acte criminel", assure-t-il. Abderrahim Ariri accuse le gouvernement français de ne pas les protéger suffisamment. Autant de raisons, selon lui, qui justifient cette une.