La mission Rosetta passionne davantage que les fesses de Kim Kardashian. L'exploit de l'Agence spatiale européenne (ESA) – qui a réussi à poser un robot sur une comète filant à 64 000 km/h, à quelque 500 millions de km de notre Terre – a suscité davantage de réactions sur Twitter que les photos nues de l'épouse de Kanye West dévoilées à peu près au même moment dans le magazine Paper, note le Washington Post (en anglais). Si ce nouveau "grand pas pour l'homme" a suscité tant de passions, c'est notamment grâce à un storytelling digne des films Interstellar et Gravity réunis. La réalité (bien racontée) a-t-elle surpassé la fiction ? L'Europe, plus forte qu'Hollywood ?

Une superproduction internationale

Au total, rapporte Le Figaro, l'envoi de la sonde Rosetta et de son module, Philae, a coûté 1,3 milliard d'euros. Un budget bien plus important que celui de Pirates des Caraïbes 4, estimé à 342 millions de dollars, considéré comme le film le plus onéreux de l'histoire. Mais, comme le remarque le site Scienceogram.org (en anglais), la mission Rosetta ne représente qu'un investissement de 3,50 euros par citoyen européen. C'est moins cher qu'un ticket de cinéma.

La France a participé à hauteur de 20% au budget de la mission Rosetta, décidée dès 1993 par l'ESA et la Nasa, indique Le Figaro. Huit pays européens financent ce "pari spatial" tandis qu'une cinquantaine d'entreprises, dans 14 pays d'Europe et aux Etats-Unis, ont contribué à fournir les instruments de la sonde et du robot Philae. Et l'ESA, mais aussi le Centre national d'études spatiales (CNES) français, le Deutsches Zentrum für Luft und Raumfahrt (DLR) et l'Agenzia Spaziale Italiana (ASI) ont collaboré de concert à cette mission. 

Aussi, à l'instar de tout bon blockbuster américain, l'Agence spatiale européenne s'est dotée d'une spectaculaire bande-annonce pour assurer la promo de son opération, relate Slate.fr. On y voit (en anglais) l'acteur Aidan Gillen, connu pour son rôle dans la série Game Of Thrones, discuter de la formation des planètes et de l'importance des comètes pour comprendre la formation de notre système solaire, ce qui est tout l'enjeu de la mission Rosetta.

Des personnages attachants

Surtout, pour captiver les internautes, l'Agence spatiale européenne a eu la bonne idée de personnifier ses deux héros, la sonde Rosetta et le robot Philae. Sur Twitter, les deux comptes @ESA_Rosetta et @Philae2014 parlent à la première personne, se répondent et mettent en scène leur amitié cosmique en même temps qu'ils communiquent les dernières informations sur l'avancement de leur mission. "Je suis à la surface de la comète mais mes harpons n'ont pas fonctionné", tweete par exemple le robot. "Accroche-toi !" lui répond la sonde, bienveillante.

Interrogée par le site Mashable (en anglais), Karin Ranero, qui rédige les tweets de @Philae2014, imagine le robot qu'elle incarne comme "courageux". Le compte @ESA_Rosetta est, lui, géré par Emily Baldwin. "Généralement, nos conversations sont planifiées, même si parfois nous aimons improviser, révèle-t-elle. Je pense que cela fonctionne parce que nous essayons vraiment de rentrer dans le personnage."

Créer un compte Twitter pour un module spatial n'est pas nouveau, et le procédé a déjà été utilisé plusieurs fois dans le domaine spatial, note le Guardian (en anglais), qui évoque le compte @MarsCuriosity, précurseur en la matière. Mais là, les communicants de l'ESA sont allés plus loin en créant carrément un "conte de fées" et une histoire autour des deux engins.
 

Un scénario à suspense

Mercredi 12 novembre 2014. 9h50. L'ordre de largage du robot Philae par la sonde Rosetta est envoyé à 500 millions de km de distance. A 10 heures, la séparation des deux modules est confirmée. La chute du robot Philae doit durer sept heures. Sept heures d'attente insoutenables. A 17h04, l'atterrissage est confirmé. Hourrah !

Mais comme dans toutes aventures, les choses ne vont pas complètement se passer comme prévu. Même si Philae a pu se poser sur la comète, ce qui est déjà remarquable, la mission connaît (littéralement) un rebondissement. Lors de son atterrisage sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, le robot n'a pas pu s'ancrer dans le sol. Philae a alors rebondi, étant donné que la gravité est quasi-nulle sur la comète, puis s'est posé à nouveau, mais pas à l'endroit voulu. Une péripétie qui le place en mauvaise posture, une "patte en l'air", révèle alors l'ESA, sur une pente presque verticale. En plus, le robot, qui dispose d'une batterie de 60 heures, est situé dans l'ombre d'un relief. Ce qui menace sa survie, conditionnée par le bon fonctionnement de ses panneaux solaires. Le monde a peur.

Promis à une mort immédiate certaine, le robot se sacrifie, tel Bruce Willis dans Armaggedon. Et se lance à corps perdu dans ses derniers travaux. Il réalise un forage, recueille une mine d'images et de données scientifiques, envoyées ensuite sur Terre par la sonde Rosetta. Il radiographie aussi l'intérieur de la comète, étudie son magnétisme, prend des images du sol, analyse les molécules complexes dégagées par la surface. Son objectif : trouver dans le sol cométaire des molécules organiques ayant pu jouer un rôle dans l'apparition de la vie sur Terre, les comètes étant les objets les plus primitifs du système solaire. D'après les scientifiques de l'ESA, "80% du travail du robot a été fait". Une happy end ou presque.

Et bientôt une suite ?

Dans un dernier souffle, Philae effectue même une rotation de 35 degrés afin d'optimiser, dans le futur, son exposition au soleil. Sa batterie déchargée, ses panneaux photovoltaïques doivent prendre le relais. Lorsque la comète s'approchera du soleil, dans quelques mois, le robot peut ainsi espérer sortir de son hibernation. De quoi, comme dans n'importe quelle saga à succès, donner une suite aux aventures de Philae.