Que font les programmes à la finance ?
La lecture de la semaine, il s’agit d’un prolongement de notre discussion avec Paul Jorion il y a quinze jours, discussion autour du rôle des ordinateurs dans la crise financière. Et voici que le quotidien anglais The Guardian mettait en ligne, sur le blog de l’anthropologue et journaliste Joris Luyendijk qui s’intéresse aux milieux financiers, le témoignage d’un informaticien qui travaille dans la finance à Londres.
“Je suis ingénieur avec une formation solide en mathématiques. J’ai coécrit le programme de notre système de high frequency trading [le high frequency trading est un mode d'achat et de vente d'actions ultrarapide, effectué donc par des ordinateurs, il représente aux alentours de 60% du volume des transactions sur les marchés américains et aux alentours de 40% sur les marchés européens, NDT], on l’appelle le “moteur”. J’arrive au bureau vers 7h, avant l’ouverture des marchés. Mon équipe et moi devons vérifier, et revérifier, tous nos systèmes avant que ne commencent les transactions. Vu leur nombre chaque jour, il est important de s’assurer que tout est en ordre avant et après les prises de position. Pendant la journée, notre équipe surveille le “moteur” pendant les achats et les ventes, des milliers des fois. Notre déjeuner dure 10 mn, le temps qu’il faut pour traverser la rue, grignoter un sandwich et rentrer.
Image : Le Royal Stock Exchange de Londres par Aurélien Guichard.
Il faut voir les mouvements du marché comme des vagues. Notre société est comme un surfeur qui essaie de prendre une vague, de la chevaucher un court moment, et de la quitter avant qu’elle ne casse. Chaque jour, nos ordinateurs achètent et vendent des actions des dizaines de milliers de fois, les détenant pendant un temps très court, parfois moins d’une minute. Aucun être humain, ou aucun groupe d’êtres humains ne pourraient assurer le volume de transactions qu’assurent les ordinateurs dans le même laps de temps, et dans le monde entier. Ces choses-là n’ont jamais été faites par des humains, et sont aujourd’hui effectuées par des ordinateurs. Tout cela est nouveau.
Nous passons notre temps à chercher des bugs, des perturbations ou les signes d’une activité incorrecte. Si le “moteur”» dysfonctionne ne serait-ce qu’une seconde, le nombre de transactions effectué pendant ce temps est si énorme qu’il est essentiel de le surveiller d’aussi près que possible. La marque d’un bon programme n’est pas seulement son fonctionnement pendant des opérations normales, mais sa manière de réagir à des événements inattendus. Il est important de s’assurer qu’il y a plusieurs niveaux de sécurité prévus à l’intérieur du programme lui-même.
La journée devient un peu plus tendue vers 16h30, à l’heure où le marché ferme. Une fois que le marché est clos, aucune erreur ne peut être corrigée avant le prochain jour d’ouverture, ça peut vite coûter très cher.
Les coups de stress ont lieu quand la machine fait quelque chose d’inhabituel et que vous n’arrivez pas à savoir si c’est un bug interne ou quelque chose qui se passe sur les marchés. Pour des programmeurs comme moi, l’humilité est essentielle. Vous devez toujours assumer vos erreurs. Si vous êtes arrogant que vous avez tendance à blâmer un bug du monde extérieur, il est probable que vous passerez à côté d’un bug à l’intérieur de votre système.
Qu’est-ce que la réussite dans le business du high-frequency trading ? D’une certaine manière, c’est de la force brute. Plus vite va votre ordinateur, plus vite votre programme peut agir. On parle là de millisecondes, donc même la vitesse de la lumière a du sens. Un autre paramètre est la qualité du programme lui-même. Une partie de mon travail consiste à essayer de l’améliorer constamment, faire en sorte qu’il soit plus rapide, plus efficace.
Les améliorations dans la logique du programme donnent les meilleurs résultats. Même si vous utilisez un ordinateur plus gros et que vous doublez la vitesse d’exécution du code, le programme ne sera jamais aussi rapide que si vous n’aviez pas à exécuter cette ligne de code.
Il y a ensuite le programme lui-même, la black box qui décide ce qu’il faut acheter ou vendre et quand il faut l’acheter ou le vendre. La notion clé, ce sont les corrélations. On prend toutes les données concernant un ensemble d’actions du marché londonien, les actions que nous avons décidé d’échanger. Cet ensemble de données pèse à peu près 3 Giga, et il consiste en chaque mouvement de l’action pendant cette journée. On appelle ces mouvements des “tiques”. On analyse les modèles de ces tiques pour notre ensemble d’actions et on cherche les corrélations. Par exemple, quand Vodaphone monte, Deutsche Telecom monte probablement aussi, parce qu’ils sont dans le même secteur. Ça, c’est une corrélation simple. Notre modèle contient des centaines de variables, et chaque jour, on cherche de nouveaux modèles.
C’est une tâche extrêmement compliquée, et qui n’a rien à voir avec l’analyse de la valeur ou de la solidité d’une entreprise en particulier. Notre travail consiste à projeter dans le futur des modèles d’échange passés.
Il y a aussi des choses bizarres. L’une est ce qu’on appelle le black swan, le “cygne noir”, c’est un événement jamais vu, un fait sans précédent, et qui, du fait qu’il échappe aux modèles passés, ne peut pas avoir été pris en compte par notre programme.
L’autre chose bizarre, c’est qu’il y a aujourd’hui plus de sociétés comme la nôtre et donc, quand on analyse les mouvements d’un marché, on doit tenir compte des activités de ces sociétés et les inclure dans notre modèle. Mais pendant ce temps, ces sociétés font la même chose et on entre dans une configuration où ils savent que nous savons qu’ils savent.
Je me considère simplement comme très chanceux de vivre à notre époque. Qu’est-ce que j’aurais fait il y a 100 ans avec mes compétences en math ? Ou dans 100 ans ? C’est pile le bon moment de l’Histoire pour être fort en math. Et le je le suis.”
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 24 septembre 2011 était consacrée aux 10 ans du Cube d’Issy-les-Moulineaux, ce lieu d’exposition tout entier consacré aux Arts numériques, en compagnie de Nils Aziosmanoff, son président, et Stéphanie Fraysse-Ripert, sa directrice, accompagnés par l’un des nombreux artistes passés par ce lieu, Hugo Verlinde.
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Enfer et damnation ! Ils font reposer cela sur des matrices de corrélation ! Ils ont de gros diplômes mais ils sont incapables de penser ! Ils ne pensent pas que dans un krach tous les prix se corrèlent … à la baisse. Le HFT n’a pas fini de nous faire rire !
Avez-vous entendu ce coup de gueule Pierre Henri Gouyon à la fin de l’émission “Science publique” ? Il y parle de ce câble transatlantique qui va permettre d’améliorer de 6ms le temps de transmission et que tous les boites de trading s’arrachent pour pouvoir en bénéficier. Et Gouyon d’expliquer que dans un système de régulation comme un système automatique de guidage d’un paquebot, l’inertie de celui-ci doit être équivalente à l’inertie du système guidé, sinon le bateau risque de tourner en rond. J’ai l’impression que le HFT provoque beaucoup de dégâts collatéraux sur les entreprises, leurs employés les Etats et tous les gens en général. Est on ici en présence d’une sorte de cyberfaschisme ou de cybernazisme ? en tout cas cela préfigure l’un des totalitarismes du XXI ième siècle, à quand un nouveaux procès de Nuremberg concernant ceux qui collaborent à ces activités sans se rendre des conséquences. Doit on inventer une sortent de serment d’Hypocrate pour les mathématiciens et informaticiens ?
On peut écouter l’émission de Science publique ci dessous
http://www.franceculture.com/emission-science-publique-club-science-publique-le-hasard-existe-t-il-2011-09-16.html
Terminator n’est pas où on l’attendait… les machines ont (ou auront bientot) a travers le HFT un pouvoir de vie ou de mort sur des millions d’individus, en modifiant artificiellement le cours de matière premières comme celles destinées à l’alimentation… entre autres choses… dans le seul but de maximiser les profits d’une frange infime de la population.
L’incapacité (ou complicité) des politiques à réguler ce genre de phénomènes nous conduit à la fin de la démocratie (si tant est qu’elle existait encore…). Après les politiques soumis au lobbying et à l’influence de firmes et des grands donneurs d’ordres, voici les machines qui prennent le pouvoir.
“C’est pile le bon moment de l’Histoire pour être fort en math”… Ah oui, pourquoi? pour s’enrichir? Pouvez vous me dire qu’elles sont les grandes choses que réalisent ces mathématiciens? mis a part s’enrichir sur le dos des autres?
“Qu’est-ce que j’aurais fait il y a 100 ans avec mes compétences en math ? Ou dans 100 ans ?” Rien car vous n’avez aucune imagination et de coup vous auriez pu vous intéresser à la définition du mot “Morale” ce qui aurait fait beaucoup moins de mal à la société et à vos semblables (ainsi qu’à l’environnement dans lequel ils baignent).
L’idée de Cantona n’était peut être pas si mauvaise après tout… laisser son argent dans les banques c’est laisser les financiers l’utiliser pour nous mettre à genoux, avec la complicité de “mathématiciens”. Et si un footballeur devenait le leader de la lutte contre les machines?
C’est pile le bon moment de l’histoire pour
débrancher le câble et couper les vivres aux parasites qui en vivent.
Je suis toujours sidéré d’entendre un brave matelot nous décrire l’océan minutieusement avec ses icebergs et fonçant tête baissée sans voir le problème ! Son boulot est notamment de traquer les bugs dans le “moteur” – contresens plein de sens -, notre devoir est d’écraser ces parasites.
Je me demande s’il ne faut pas prendre cet article au second degré, comme un trait d’humour avec une petite dose de provocation, surtout par les temps qui courent.
Si ce n’est pas le cas cela prouverait surtout une chose – mais ce n’est pas un scoop – c’est qu’on peut être bardé de diplômes, avoir un niveau élevé en maths et n’en être pas moins pour autant un gros con.
“Le Genux-B a été conçu pour assimiler en temps réel une quantité de données bien supérieure à ce qu’un homme, ou un groupe d’hommes, serait capable de traiter dans le même délai. Bref, il digère plus que nous, plus vite. Son temps de réponse se calcule en micro-secondes. Si après analyse des informations fournies, il estime qu’il y a risque de guerre et que nous ne soyons pas d’accord, cela prouve précisément qu’il fonctionne conformément à son programme. Et plus notre avis divergera du sien, mieux ce fait sera prouvé. Si nous étions à même de déceler des raisons de passer à l’attaque en nous fondant sur les informations disponibles, nous n’aurions pas besoin du Genux-B. C’est dans les cas comme celui qui nous préoccupe – l’ordinateur déclenche l’Alerte rouge alors que nous ne constatons aucune menace – que ces machines entrent en jeu”.
Philip K Dick – Guerre Sainte – 1966
Eh bien moi, j’ai trouvé cet interview passionnant et je vous en remercie. Contrairement à Paul Jorion, je crois qu’on a ici une véritable analogie avec le fonctionnement du cerveau, rien de tel que des enjeux financiers énormes pour faire progresser l’intelligence artificielle, jusqu’à l’intersubjectivité des programmes qui savent qu’ils savent et donc se mettent à mentir. Certes, on n’est qu’aux premiers niveaux de la cognition mais ce sont ceux de l’immédiateté, qui sont certes inhibés par la réflexion mais restent pertinents.
Au niveau purement financier, le fait qu’un automatisme puisse générer des gains importants est le signe qu’il n’y a plus rien d’individuel dans ces processus de correction qui sont d’essence systémique, ce qui rend illégitime sa captation par des intérêts privés. Bien que cela paraisse impensable pour l’instant, il me semble que c’est une ressource qui devrait être publique, nationalisée voire mondialisée comme la taxe Tobin, fonction d’équilibrage qui est un bien commun et qui doit retourner à la communauté (c’est aussi je crois ce que préconise Antonio Negri).
Sur la notion du ” black swann” se rapprocher de Nassim Nicholas Taleb qui a écrit un ouvrage à ce propos
Il faut absolument reglementer le High Frequency Trading qui est dangereux pour la stabilité des marchés ce qui éloigne un peu plus chaque jour les investisseurs dont l’économie réelle a besoin, et qui de plus rend l’accès aux marchés encore plus inéquitable.
En gros vous avez peu de chances de gagner de l’argent si vous êtes un investisseur particulier et si vous avez en face de vous un robot ultra-optimisé par des spécialistes et dans lequel une société a investi plusieurs millions d’euros…
Des solutions ont déja été envisagées, qui semblent intéressantes. Il n’y a plus qu’a avoir le courage politique de les appliquer.
1ere piste : taxer les annulations d’ordres
70 % des ordres passés par les robots sont annulés car les robots utilisent des ordres annulés pour tester et pour faire varier les carnets d’ordres. Taxer les annulations d’ordres aurait donc l’avantage direct de faire payer ceux qui pratiquent le HFT à haute dose.
2eme piste : retarder les transactions
C’est paradoxal mais cela consisterait pour toutes les transactions à appliquer un retard aléatoire compris entre 0 et 1/2 seconde par exemple. Si vous achetez des actions pour votre PEA, en bon père de famille, un retard de “livraison” de 1/2 seconde ne changera pas grand chose pour vous. En revanche, cela mettra un terme à l’avantage de quelques millisecondes que peut avoir un robot pratiquant le HFT.
On peut opposer l’argument suivant : le problème est mondial et si on applique de telles mesures sur une place financière, par exemple sur NYSE Euronext Paris, cela éloignera les investisseurs.
Bien au contraire : cela éloignera les investisseurs qui pratiquent le HFT (et c’est tant mieux!) et cela attirera les vrais investisseurs qui considèrent que le HFT est nuisible pour eux et qui recherchent la stabilité et l’équité sur les places financières.