L’International Herald Tribune (IHT) a mené une enquête pour connaître quels débats avaient eu lieu au sein du département de la Justice. Selon les informations obtenues par le journal, plusieurs procureurs voulaient que HBSC plaide coupable et reconnaisse ainsi qu’elle avait violé la loi qui l’obligeait à informer les autorités de l’existence de transactions supérieures à 10 000 dollars, identifiées comme douteuses. Cela aurait dû entraîner le retrait de la licence bancaire et la fin des activités de HSBC aux États-Unis. Après plusieurs mois de discussion, une majorité de procureurs prit une autre voie et décida qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la banque pour activités criminelles car il fallait éviter sa fermeture. Il convenait même d’éviter de trop ternir son image |5|. L’amende mineure de 1,9 milliard de dollars est assortie d’une sorte de période de probation : si, entre 2013 et 2018, les autorités ont la preuve qu’HSBC n’a pas mis fin définitivement aux pratiques qui ont entraîné la sanction (ce n’est pas une condamnation), le département de la Justice pourrait envisager de rouvrir le dossier. Bref, la mesure peut être résumée par : « Vilain garnement, file-nous une semaine de ta paie et qu’on ne t’y reprenne pas pendant 5 ans ». Nous avons bien là un exemple évident de la formule « trop grande pour être condamnée ».
En juillet 2013, lors d’une commission sénatoriale qui portait sur l’affaire HSBC, Elizabeth Warren, une sénatrice démocrate de l’État du Massachusetts, a mis sur le grill David Cohen, représentant le ministère des Finances, au sein duquel il occupe le poste de sous-secrétaire responsable de la lutte contre le terrorisme et l’espionnage financier. Elle a tenu grosso modo les propos suivant : « Le gouvernement des États-Unis prend très au sérieux le blanchiment d’argent (…). Il est possible de fermer une banque qui s’est engagée dans le blanchiment d’argent, des individus peuvent se voir interdire un métier ou une activité dans la finance, et quelqu’un peut être envoyé en prison. Or en décembre 2012, HSBC… a avoué avoir blanchi 881 milliards $ des cartels mexicains et colombiens de la drogue, la banque a également admis avoir violé les sanctions. HSBC ne l’a pas fait qu’une seule fois, elle l’a fait de manière répétée. HSBC a payé une amende mais aucun individu n’a été banni du métier bancaire et on n’a pas entendu parler d’une possible fermeture des activités de HSBC aux États-Unis. Je voudrais que vous répondiez à la question suivante : combien de milliards de dollars une banque doit-elle blanchir avant qu’on considère la possibilité de la fermer ? » Le représentant du Trésor a botté en touche en disant que le dossier était trop complexe pour émettre un avis |6|. La sénatrice a poursuivi en déclarant que lorsqu’un petit vendeur de cocaïne est pincé, il se retrouve pour des années en prison tandis qu’un banquier qui blanchit des milliards de dollars de la drogue peut rentrer tranquillement chez lui sans rien craindre de la justice. Cet extrait de l’audience est disponible en vidéo et vaut la peine d’être visionné |7|.
Stephen Green, patron de HSBC (2003-2010) devenu ministre britannique du Commerce (2011-2013), une figure emblématique
La biographie de Stephen Green constitue une illustration vivante de la relation symbiotique entre la finance et le gouvernement. Cela va même plus loin car il ne s’est pas contenté de servir au mieux les intérêts du grand capital, en tant que banquier puis ministre, il est également prêtre de l’église officielle anglicane et a écrit deux livres sur l’éthique et les affaires, dont un est intitulé « Servir Dieu ? Servir Mammon ? » |8|. Le titre du livre renvoie notamment au nouveau testament : « Aucun homme ne peut servir deux maîtres : car toujours il haïra l’un et aimera l’autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon » |9|. Mammon représente la richesse, l’avarice, le profit, le trésor. On retrouve ce mot en araméen, en hébreu, en phénicien. Parfois Mammon est assimilé à Satan. Quant à Stephen Green, il est honoré par les plus hautes autorités universitaires et est manifestement intouchable.
Passons en revue quelques éléments de sa biographie. Il commence sa carrière au ministère britannique du Développement d’outremer, puis il passe dans le privé et travaille pour le consultant international McKinsey. En 1982, il est engagé par HSBC (Hong Kong Shanghai Banking Corporation), la principale banque britannique, et y occupe rapidement des fonctions à haute responsabilité. Finalement, en 2003, il devient directeur exécutif de HSBC et, en 2006, il accède à la présidence du groupe où il reste jusqu’en 2010.
Les accusations qui sont portées par les autorités américaines en matière de blanchiment de 881 milliards de dollars de l’argent des cartels de la drogue et d’autres organisations criminelles portent sur la période 2003-2010. Selon le rapport de 334 pages rendu public par une commission du Sénat américain en 2012, Stephen Green, dès 2005, est informé par un employé de la banque que des mécanismes de blanchiment ont été mis en place dans HSBC au Mexique et que de multiples opérations douteuses ont lieu. Toujours en 2005, l’agence financière Bloomberg basée à New York accuse HSBC de blanchiment d’argent de la drogue. Stephen Green répond qu’il s’agit d’une attaque irresponsable et sans fondement qui met en cause la réputation d’une grande banque internationale au-dessus de tout soupçon. En 2008, une agence fédérale des États-Unis communique à Stephen Green que les autorités mexicaines ont découvert l’existence d’opérations de blanchiment réalisées par HSBC Mexique et une de ses filiales dans un paradis fiscal
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
de la Caraïbe (« Cayman Islands Branch »). L’agence ajoute que cela peut impliquer une responsabilité pénale pour HSBC |10|. À partir de ce moment, les autorités états-uniennes de contrôle adressent à la direction de la banque, de manière répétée, des avertissements, souvent assez mous en regard de la gravité des faits. Cette dernière promet de modifier son comportement mais, en réalité, les pratiques criminelles se poursuivent. Finalement, les avertissements sont suivis en octobre 2010 d’une mise en demeure d’arrêter les pratiques délictuelles |11|. Fin 2012, après la présentation publique du rapport de la commission sénatoriale et des mois de débat entre différentes agences de sécurité des États-Unis, une amende de 1,9 milliard de dollars est imposée à HSBC.
Stephen Green est bien placé pour savoir ce que faisait la banque au Mexique, dans les paradis fiscaux, au Moyen-Orient et aux États-Unis car, en plus de conduire l’ensemble du groupe HSBC, il a dirigé par le passé HSBC Bermuda |12| (établie dans un paradis fiscal), HSBC Mexique, HSBC Moyen-Orient. Il a également été président de HSBC Private Banking Holdings (Suisse) SA et de HSBC Amérique du Nord Holdings Inc.
Lorsque le public apprend, dans le courant de l’année 2012, que HSBC va devoir probablement payer une forte amende aux États-Unis pour blanchiment de l’argent des cartels de la drogue, Stephen Green n’est plus le grand patron d’HSBC, il est ministre du gouvernement conservateur-libéral conduit par le premier ministre David Cameron.
Petit retour en arrière pour constater que le timing suivi par Stephen Green a été parfait. Du grand art. En février 2010, il publie le livre intitulé La juste valeur : Réflexions sur la monnaie, la moralité et un monde incertain. Le livre est présenté ainsi au grand public : « Est-ce que quelqu’un peut être à la fois une personne éthique et un homme d’affaires efficace. Stephen Green, à la fois prêtre et président de HSBC, le pense. » |13| On notera évidemment que la « personne éthique et l’homme d’affaires efficace » sont identifiés au « prêtre et président de HSBC ». La publicité est cousue de fil blanc. À la même époque, il reçoit le titre de docteur honoris causa octroyé par la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’Université de Londres.
En octobre 2010, pour la deuxième fois depuis 2003, la justice des États-Unis met en demeure HSBC d’arrêter ses activités criminelles. Le public n’est pas au courant. Il est grand temps pour Stephen Green de quitter le navire. Le 16 novembre 2010, à la demande de David Cameron, il est anobli par la Reine d’Angleterre et devient le « baron » Stephen Green de Hurstpierpoint du Comté du Sussex occidental. Cela ne s’invente pas. Pour un businessman qui a permis de blanchir l’argent des « barons » de la drogue, c’est une belle promotion. À ce titre, il devient membre de la Chambre des Lords le 22 novembre 2010. Vous liriez cela dans un polar, vous vous diriez sans doute que l’auteur exagère.
En décembre 2010, il démissionne de la présidence de HSBC et, en février 2011, il devient ministre du Commerce et de l’Investissement |14|. À ce titre, il met son savoir-faire au service du patronat britannique avec lequel il entretient des relations très fructueuses et étroites puisqu’il occupe depuis mai 2010 le poste de vice-président de la Confédération de l’industrie britannique. Il joue aussi un rôle important dans la promotion de Londres qui se prépare à accueillir les Jeux Olympiques en juillet 2012. C’est le mois au cours duquel une commission du Sénat des États-Unis remet son rapport sur l’affaire HSBC. Stephen Green refuse de répondre à des questions des membres de la chambre des Lords concernant son implication dans ce scandale. Il est protégé par le président du groupe des Lords conservateurs qui explique qu’un ministre n’a pas à venir s’expliquer devant le Parlement pour des affaires étrangères à son ministère |15|.
David Cameron a affirmé en 2013 que Lord Green a réalisé un “superbe job” en intensifiant les efforts du gouvernement britannique pour renforcer les exportations britanniques, pour faire avancer les traités commerciaux et notamment le traité transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis |16|. Lord Green a beaucoup œuvré pour augmenter les ventes d’armes britanniques sur les marchés mondiaux. Il a terminé son mandat de ministre en décembre 2013 et dédie son précieux temps à donner des conférences (certainement très bien rémunérées) et à recevoir les faveurs que lui prodiguent de multiples autorités académiques.
Sa carrière n’est certainement pas terminée. Son hypocrisie n’a pas de limites. En mars 2009, alors que HSBC était totalement impliquée dans le blanchiment de l’argent d’organisations criminelles, il a le culot de déclarer lors d’une conférence de presse à propos des responsabilités dans la crise qui a commencé en 2007-2008 : « Ces évènements nous ramènent à la question de l’éthique du secteur financier. C’est comme si, trop souvent, les responsables ne se demandaient plus si leur décision est correcte et ne s’occupaient plus que de sa légalité et de sa conformité aux règlements. Il faut que le secteur retrouve ce sens de ce qui est éthiquement correct comme moteur de ses activités. » |17| C’est ainsi que Stephen Green, gredin et requin au-dessus des lois, s’adresse à des larbins qui vont s’empresser de répercuter ses bonnes paroles dans la grande presse.
Green et tous ceux qui ont organisé le blanchiment d’argent au sein de HSBC doivent répondre de leurs actes en justice et être condamnés sévèrement avec privation de liberté et obligation de réaliser des travaux d’utilité publique. HSBC devrait être fermée et la direction licenciée. Ensuite, le mastodonte HSBC devrait être divisé sous contrôle citoyen en une série de banques publiques de taille moyenne dont les missions devraient être strictement définies et exercées dans le cadre d’un statut de service public.
La suite dans la Partie 4 de la série : Les banques et la doctrine « trop grandes pour être condamnées » : HSBC : une banque au lourd passé.
À paraître le 21 avril 2014.