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Mohamed Merah, l'homme aux cent visages

LE MONDE | • Mis à jour le

Mohamed Merah, ici sur une capture d'écran issue d'images de France 2.

Qui avait assuré que Mohamed Merah était "trapu", portait "une cicatrice ou un tatouage sous la joue gauche"? Que son regard, "froid", était de ceux "qu'on n'oublie pas"? Il faut toujours se méfier des témoins. Mohamed Merah, d'après Me Christian Etelin, était d'une "beauté assez fascinante". Ses cheveux châtains, qu'il coiffait souvent de jolis bonnets de laine, sa voix douce, lui faisaient "un visage d'ange", assure le conseil des cités toulousaines. Il faut toujours se méfier des avocats.

L'homme, qui, en moins d'une semaine, a assassiné – exécuté – de plusieurs balles dans le dos trois soldats parachutistes du 17e régiment de Montauban, mais aussi trois jeunes enfants et un père de famille qui attendaient le bus devant une école juive de Toulouse, n'était ni l'un ni l'autre. Mohamed, yeux rieurs et large sourire, était un garçon coquet, qui aimait les Lacoste, les montres et les joggings. Il était aussi ce jeune homme peu mature, au chômage et au RSA, capable de passer des heures devant des vidéos violentes (des "scènes de décapitation", selon le procureur de Paris, François Molins, chargé de l'enquête), fasciné, semble-t-il, par Terminator, le tueur qui a un œil-caméra. Ce garçon qui avait déclaré ne rien regretter, "sinon de ne pas avoir fait plus de victimes".

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QUATRIÈME DE CINQ ENFANTS

Mohamed Merah est né à Toulouse au milieu des années Mitterrand, le 10 octobre 1988, de parents arrivés d'Algérie en France. Sa mère, Zoulika A., élève presque seule cinq enfants, trois garçons et deux filles. Ce joueur de foot des quartiers nord de la Cité rose aurait pu être de la génération black-blanc-beur, de la finale de la Coupe du monde. Il aurait pu rester carrossier, comme ses profs de CAP l'avaient espéré. Il aurait aussi pu devenir un dealer, un caïd. Il a suivi en apparence, à mi-chemin, l'itinéraire d'un petit voyou de quartier. Du moins croyait-on, jusqu'à ce funeste mois de mars.

Dans le parcours classique d'un délinquant ordinaire, les parents, en général, se séparent, le père disparaît. Mohamed Merah est adolescent lorsque la famille quitte Bellefontaine, le quartier de son enfance, pour un appartement des Izards, une banlieue plus proche du centre-ville. Dans la fratrie, Mohamed occupe la place de celui sur lequel on ne s'attarde pas, quatrième de cinq enfants, petit frère à la remorque des deux "grands", coincé entre deux sœurs. Mohamed n'a pas 14 ans lorsqu'il fugue pour la première fois. Un soir de janvier 2005, il tient tête à l'une des éducatrices du foyer Mercadier, lui décoche un coup de poing à l'œil. Son premier réflexe? Se réfugier chez sa "grande sœur", celle qui, comme souvent dans les cités, joue les parents de remplacement et laisse toujours sa porte ouverte.

A Bellefontaine, le petit Merah ne fait pas trop parler de lui. Aux Izards en revanche, le quartier où il emménage après le divorce de ses parents, il entame vite les bêtises. Il faut moins d'un quart d'heure en métro du Capitole pour rejoindre cette cité du nord de la ville, mais les Toulousains n'y risquent jamais un pied le soir. Mauvaise réputation, trop de deal. Beaucoup de copains de Mohamed Merah trafiquent de la drogue. Pas lui. Cela ne l'empêche pas de multiplier les confrontations avec la brigade anticriminalité (BAC) et de collectionner les convocations chez le juge : sept au total, selon ses avocats, entre l'âge de 15 ans et 23 ans. "Pas énorme, finalement, pour cette période, la pire en général pour les jeunes des quartiers", tempère Axelle Chorier, qui l'a défendu à cinq reprises devant le juge pour enfants.

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PEINES DE PRISON QUI S'ALOURDISSENT

Cailloux lancés contre un bus municipal, en 2004, qui lui valent une simple "admonestation", vol de portable en 2006, de moto, insultes, conduite sans permis, délit pour lequel il avait comparu il y a trois semaines devant le tribunal de Toulouse et était convoqué en avril devant le juge d'applications des peines (JAP): du classique, en somme. Sauf que les peines s'alourdissent, et que, passé 18 ans, les mois de sursis se transforment en mois fermes. A la sortie de la prison, on ne retrouve pas forcément la vie professionnelle qu'avant. A l'époque, rapporte La Dépêche du Midi, l'expert judiciaire Alain Pénin notait chez Merah "des dispositions antisociales", faute de formation aboutie, et conseillait "un suivi psychologique" lors de sa remise en liberté.

Passionné de mécanique, Mohamed Merah trouve un réel plaisir à défroisser les ailes de voiture. A la veille de ses 16 ans, le 21 septembre 2006, lui qui n'a jamais brillé à l'école avait décroché une place d'apprenti chez un carrossier de Toulouse. Le jeune homme a toujours trafiqué les moteurs. Il roule sans permis mais adore les grosses bagnoles et les rodéos sauvages. Avec ses "collègues du quartier", ils se filment entre eux et s'échangent les vidéos sur Internet. Le métier lui plaît, son patron aussi, qui le prend en affection et lui sert de garant pour ses aménagements de peine. Jusqu'à ce vol de sac à main, dans le hall d'une banque, qui lui vaut dix-huit mois de prison ferme, à la maison d'arrêt de Seysses (Haute-Garonne), de décembre 2007 à septembre 2009. Et qui le fait basculer.

Le garagiste des Izards s'est-il lassé des absences de son apprenti? "Lorsque, au parloir, pendant sa détention, je lui ai expliqué que son patron et le centre de formation avaient des difficultés pour le reprendre, j'ai senti chez Mohamed un très grand ressentiment", se souvient Me Christian Etelin, son avocat et celui de jeunes de la région.

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L'air de rien, Merah était très fier et soucieux de cet ancrage dans la vie adulte. Un jour que le juge lui fixe rendez-vous, il prend lui-même son stylo pour s'excuser. L'orthographe est hésitante, mais la forme soignée et l'écriture ronde et lisible: "Jeudi 21 septembre 2006 à 10 heures est la date de mon premier jour de travail dans un nouvel établissement. Vous comprendriez donc que je ne peux pas me permettre d'être absent. Si vous souhaitez un justificatif de mon travail, je vous le ferai parvenir (...) Avec tout le respect que je vous dois, veuillez accepter toutes mes salutations sincères."

"J'AI ENVIE DE TE FRACASSER"

Qui était alors vraiment Mohamed Merah? Ce garçon respectueux des institutions, à la courtoisie tout administrative? Ou cet homme qui, à l'été 2010, menaçait une ancienne voisine, qui avait porté plainte contre celui qu'elle soupçonnait d'enrôler des jeunes pour le Djihad? En guise de représailles, Mohamed Merah s'était présenté au bas de chez elle en cagoule et tenue de camouflage, un flash-ball et une bombe "lacrymo" à la main. Le garçon savait se montrer menaçant. "On va t'crever", "j'ai envie de te fracasser", hurlait-il avec l'un de ses meilleurs potes, Nizar, à l'éducateur de la ville de Toulouse qui accompagnait un groupe d'ados à la patinoire de Blagnac.

Il y a deux ans, il avait menacé d'un sabre une jeune fille qui était venu se plaindre parce qu'il avait forcé son petit frère à regarder des vidéos d'Al-Qaida. Mohamed Merah vivait alors dans l'appartement de la rue Sergent-Vigné, un quartier coquet de Toulouse où il vit depuis quelque temps et où il s'est retranché avant le dernier assaut.

"Nuque" longue dans le cou, comme aujourd'hui, ou crête rouge comme l'été dernier, Mohamed Merah ne ressemblait pas beaucoup à ces intégristes fanatiques qui refusent de serrer la main à ceux qui ne récitent pas leurs prières. "Je l'ai croisé en boîte il y a trois semaines, il fumait une chicha", dit un ami qui fréquentait avec lui la primaire d'Ernest-Renan.

"Mohamed faisait le ramadan, c'est tout", ajoute un autre. Pas non plus de kamis (le pantalon et tunique longue des salafistes), contrairement à son frère Abdelkader, 29 ans. Barbe épaisse, tenue traditionnelle, cet aîné – dont la femme était d'ailleurs "voilée de la tête aux pieds", se souviennent ses anciens voisins de l'immeuble du quartier Jolimont – était un intégriste religieux. Abdelkader, qui avait été inquiété (sans être mis en examen) dans une filière d'acheminement de djihadistes en Irak, s'était mis il y a quelques mois au vert, à Auterive, à une quarantaine de kilomètres au sud de Toulouse. Dans la maison, une vraie "librairie coranique", avec des étagères entières de livres et de revues coraniques.

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Est-ce sous son influence que le cadet de la famille se revendiquait d'Al-Qaida? Ou en prison que tout s'est joué, comme pour un autre Français d'origine algérienne, enfant des cités devenu fou d'Allah, Khaled Kelkal? "Pour moi, la maturation s'est faite dans sa cellule, avec ses codétenus. Ce n'est pas l'Afghanistan qui l'a radicalisé", estime son avocat. Les deux voyages de Mohamed en Afghanistan, en 2010 et 2011, sont restés secrets.

"PART D'OMBRE"

"Sur les questions de religion et de politique, il avait dressé une muraille et n'abordait jamais le sujet. M. Merah gardait sa part d'ombre", raconte son avocat, qui les a découverts plus tard. Ces virées, il les a même tues à sa mère: "Il lui disait qu'il partait en Algérie. En Algérie? Au Pakistan, oui!, raconte, pas dupe, un ami de la famille. A son retour, sa mère disait: "En Algérie, on lui a fait des sorcelleries"."

Son aîné, Abdelkader, multiplie, lui, les séjours en Egypte en 2006, 2007, pour "apprendre le Coran", expliquait-il à tout le monde. "Apprendre le Coran, mon œil, il allait voir les Frères musulmans au Caire", se moque encore ce même ami. A leur retour, "les deux garçons se montrent très sévères avec Zoulika, leur mère, racontent aujourd'hui ses voisins du Mirail, où elle vit aujourd'hui dans un une-pièce cuisine. Ils insistent pour qu'elle porte le voile."

Dans la famille, une cigarette, un verre d'alcool ou la sortie en boîte de la petite dernière provoquent des étincelles. "Un jour, assure un intime de la mère, Abdelkader et son deuxième frère cadet ont commencé à se battre au couteau parce que ce dernier fumait." Un après-midi de juillet, "en 2010", croit se souvenir un ami, Merah se présente au bureau d'information de la Légion étrangère de Toulouse. Il accepte l'arrangement que les recruteurs proposent parfois à leurs candidats pour démarrer dès le petit matin les premiers entretiens: il passe le dîner et une nuit dans le centre. Mais au réveil, plus de Merah. A-t-il renoncé à son projet? A-t-il été éconduit, comme l'assure un ami de la famille qui se rappelle d'une petite "dépression" après ce refus? C'est la deuxième grosse déception de sa vie professionnelle, en tout cas. Le deuxième bannissement, peut-être.

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"LIÉ À AL-QAIDA"

Est-ce de n'avoir pu intégrer le régiment qu'il l'a fait prendre en grippe les parachutistes? Aux hommes du RAID, à qui il s'est longuement confié pendant le "siège", il a reconnu avoir prévu deux autres attaques et avoir repéré pour nouvelles cibles un militaire et deux policiers. A la journaliste de France24 qu'il a jointe dans la nuit du 20 au 21 mars, juste avant l'encerclement de son immeuble par le RAID, il a expliqué être "lié à Al-Qaida". Il voulait aussi "se venger de la loi interdisant le port du voile islamique et de la participation de la France à la guerre en Afghanistan". Et, pour l'école juive, "venger nos petits frères et nos petites sœurs palestiniens".

Sa mère a appris la mort tragique d'enfants par un tueur à scooter, par-dessus l'épaule d'un voisin penché sur La Dépêche, sur la coursive de son immeuble du Mirail. "J'ai peur, je m'enferme chez moi", a-t-elle soufflé en verrouillant sa porte à double tour. Son fils Mohamed venait de lui rendre visite, casque de moto à la main. Ce week-end, il avait aussi retrouvé ou croisé des amis du Calypso, une discothèque toulousaine à "soirées sans alcool" que fréquentait le "djihadiste". Il avait aussi ses habitudes sur Izards-31skyrock.com, le blog de la radio préférée des cités, qui affiche toujours, aujourd'hui, les photos de Mohamed, "le bogoss" du quartier.

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