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La société de surveillance de Foucault 0

A l’occasion du 30eme anniversaire de la mort de Michel Foucault le 25 juin prochain, France Culture rend hommage au philosophe, auteur d’une des œuvres les plus importantes et les plus originales du XXème siècle. Intellectuel engagé, son oeuvre touche à la philosophie, à l’histoire, la sexualité ou encore à la sociologie.

 

Du 13 au 20 juin France Culture revient sur le travail de ce philosophe :

 

>>> Retrouvez tout le programme détaillé ici.

>>> Et, sur France Culture Plus, une commémoration active de l'oeuvre de Michel Foucault par Yves Chevalier, professeur en Sciences de l'information et de la communication de l'Université Bretagne-Sud.

 

Un portrait de Foucault peint sur un mur. © Abode of chao / Flickr

 

Ce que Foucault a perçu de notre société, n’a cessé d’inspirer. D’autres philosophes, tel Gilles Deleuze, mais aussi ceux qui tentent d’anticiper ce que pourrait devenir notre société. C’est le cas, notamment, d’Alain Damasio, romancier et auteur de la Zone du Dehors, dont les écrits ont été fortement influencés par les travaux de Foucault, et notamment par le concept du panoptique de Bentham. Caméras de surveillance, smartphones, affaire PRISM… Les problématiques autour de la surveillance tendent à prouver que ce qu’a perçu le philosophe de notre société, est, plus que jamais, d’actualité.

 

La pensée de Foucault

Foucault cherche à rendre visible ce qui l’est déjà, à “faire apparaître ce qui est si proche, ce qui est si immédiat, ce qui est si intimement lié à nous-mêmes qu’à cause de cela nous ne le percevons pas”.

Evoquer Foucault, c’est immédiatement songer à l’ouvrage le plus emblématique de sa pensée : Surveiller et punir, paru en 1975. Michel Foucault y décrit la prison, le supplice, et s’intéresse particulièrement aux questions de contrôle et de discipline. Il dresse un constat essentiel à sa réflexion : là où les dynamiques de punition ont été, depuis le XVIe siècle, un moyen pour le pouvoir d’être visible, elles tendent peu à peu à s’inverser. Le pouvoir ne souhaite plus s’exposer ; le plus grand nombre doit être visible du plus petit nombre.

Face à l’ordre rigide, Foucault dégage la pensée de l’autodiscipline, des normes souples, et esquisse les grandes lignes d’une société de surveillance et de contrôle qui va être rendue réelle grâce à l’essor des technologies.  

Jeremy Bentham, "The works of Jeremy Bentham vol. IV, 172-3" ©

Dans “Surveiller et punir”, le philosophe consacre tout un chapitre au panoptique, cette invention de Jeremy Bentham, philosophe et réformateur britannique, dont le principe est le suivant : le panoptique est une tour centrale dans laquelle se trouve un surveillant, autour de cette tour des cellules sont disposées en cercle. La lumière entre du côté du prisonnier, et le surveillant peut ainsi le voir se découper en ombre chinoise dans sa cellule. Il sait si le détenu est présent ou non, ce qu’il fait ou ne fait pas. A l’inverse, le surveillant étant invisible, le prisonnier ignore s’il est surveillé ou non. Ce principe, Foucault ne le cantonne pas à la prison, mais l’étend aux ateliers de fabrication, aux pensionnats, aux casernes, etc.

Le panoptique, c’est finalement faire de la visibilité la prison. On cesse d’enfermer pour mettre en pleine lumière. L’essentiel, c’est que l’on se sache surveillé. Le pouvoir est automatisé et désindividualisé, puisqu’il n’est pas vu.

“L’effet du panoptique est d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. (...) La surveillance est permanente dans ses effets, même si discontinue dans son action”, écrit Michel Foucault.

L'intérieur de la prison Presidio Modelo, à Cuba, construite sur le modèle du panoptique © CC BY-SA 3.0

 

Si le philosophe consacre tant de place à ce système, c’est parce qu’il a parfaitement compris qu’il symbolise à merveille les nouveaux dispositifs de surveillance d’un pouvoir moins présent, plus discret.

 

D’un régime disciplinaire à l’autodiscipline

L'auteur Alain Damasio. © DR

C’est cette idée que s’approprie Alain Damasio dans son premier roman d’anticipation, La Zone du Dehors, où il créé une société dystopique nommée Cerclon, et où il extrapole le concept de panoptique décrit par Michel Foucault. Au coeur du problème : la mutation d’un régime de pouvoir, qui s’étend au-delà de la prison.

 

“Ce que Foucault sent, c’est que le pouvoir va devoir procéder autrement, beaucoup plus souplement, insidieusement, et en faisant une sorte d’échange : on troque une partie de notre liberté au nom d’une vie plus fluide. Il anticipe le fait qu’on passe d’un régime disciplinaire à un régime plus normatif”, explique Alain Damasio.

 

Les catégories de pouvoir n’imposent plus, "elles rendent probables". Au besoin de liberté a succédé celui de la sécurité. Le contrôle généralisé a créé une prison sans murs :  

 

Michel Foucault explique qu’il y a un plaisir à subir le pouvoir, qu’il est rassurant. “Ce n’est plus Big Brother, précise Alain Damasio, c’est Big Mother, il s’agit d’un pouvoir maternant, couvant, qui anticipe et répond à nos besoins” :

 

Une société panoptique horizontale

Le contrôle est donc une demande sociale, il n'est pas imposé. L’arrivée des caméras de sécurité, des moyens de surveillance qui reprennent le principe du panoptique, a instauré à grande échelle l’autodiscipline évoquée par Foucault.

L’autocensure, le self-contrôle se sont développés encore plus avec les outils de surveillance du réseau”, juge Alain Damasio. Le panoptique ne se cantonne plus à la prison, il est maintenant disséminé dans toutes les strates de la société :

 

Ce que Foucault, et d’autres philosophes n’ont pu anticiper, c’est l’importance des technologies, leur développement et ce qu’elles impliquent sur la pratique de la surveillance panoptique. Internet, les smartphones, induisent une nouvelle forme de contrôle, plus horizontale. Ce n’est plus un pouvoir vertical qui observe la population : chacun peut potentiellement observer son voisin. “Le système panoptique est devenu portatif. Le réseau est, de façon consubstantielle, panoptique ” :

Dans Surveiller et Punir, Foucault casse les grands postulats sur la conception du pouvoir, et notamment celui d'un pouvoir pyramidal. Il part du principe que, dans le corps social, il y a tout un ensemble de petits pouvoirs exercés. La force de l'Etat est de les agréger, les agglomérer.

 

Des caméras de surveillance dans une rue de Londres. ©

"C'est exactement ce que font maintenant des services tels Google ou Facebook, assure Alain Damasio. Dans ce que s'échangent les gens, ils donnent énormément de données personnelles, que ces services peuvent vendre à des agences. Ça n'est pas leur projet de départ, mais une fois qu'ils ont réalisé qu'il y avait un modèle économique, c'est devenu ces espèces de golems du réseau. Ils agrègent après coup. Ce type d'analyse stratégique c'est très foucaldien. Foucault raisonnait comme ça : on part d'un réseau existant, et l'état condense le pouvoir. C'est très adéquat aujourd'hui, où nous avons une société très liquide, moléculaire."

Foucault a réussi à extraire d'un modèle de prison un concept général et opératoire qui sert encore aujourd'hui. Il détruit l'idée d'un pouvoir répressif. Les nouveaux régimes de pouvoir produisent des vérités, la sous-couche à partir de laquelle on va déterminer ce qui est vrai ou non. Le pouvoir moderne est un pouvoir qui pousse à produire, agir, consommer.

Dans cette société, “la vision du panoptique telle que Foucault l’a posée dès 1975 est encore valable", juge Alain Damasio. L’auteur d’anticipation, pourtant, ne s’y arrête pas. S’il affirme avoir raté l’endogénéisation du panoptisme via Internet et les smartphones, il préfère clarifier le terme panoptique. L’essor des technologies de contrôle dépasse la simple surveillance “visuelle” des “détenus”. Alain Damasio imagine d’ores et déjà des systèmes "pansoniques", "panthermiques", etc. Ca n’est plus un seul sens, ici la vue, qui est sollicité. Non seulement l’humain est surveillé à tous les échelons, mais chacun devient son propre surveillant. Au panoptique de Bentham, devrait ainsi succéder le pansensitif : une surveillance qui s’établit à toutes les échelles.

Pierre Ropert

Thème(s) : Idées| Philosophie| sécurité| surveillance| Michel Foucault| Alain Damasio

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