La chronique de Carl von C., parue dans DSI n°110, janvier 2015. Aucune reproduction autorisée

Ceux qui parmi vous lisent ce qui se fait, ici et ailleurs, autour des drones n’auront pas manqué de constater l’attendrissant déballage de bonnes intentions et autres inquiétudes autour des « robots tueurs » (si, si, le terme est utilisé, et parfois par des gens très sérieux). Parce qu’on quitte juste les fêtes – j’en profite pour vous souhaiter une excellente année – et que Madame Guérilléra a reçu un splendide robot-aspirateur qui n’a pas encore rendu l’âme à force d’avaler les poils de GBU, notre chat, je me suis intéressé de plus près à ce qui a été fait dans le domaine. J’ai lu pas mal de choses venues du camp des gentils.

Pour résumer, le drone tue tout le monde, surtout les civils et donc les petits enfants ; les progrès de la technologie nous promettent un Terminator hors de contrôle, d’ailleurs les Britanniques travaillent sur un truc appelé Taranis qui doit trouver seul ses cibles. En plus, c’est l’arme du lâche qui oublie l’honneur du combattant (viril, il va de soi) empoignant son adversaire par les cheveux avant de le découper façon carotte en forme de fleur, comme chez le Chinois du coin. C’est aussi l’arme du vilain impérialiste qui veut envahir et asservir tout le monde dans une sorte de gigantesque chasse à l’homme. Bref, le drone est l’incarnation du mal absolu et il ne reste qu’à vous repentir.

Mais nos gentils camarades de débats oublient pas mal de choses. A commencer par l’histoire militaire, la sociologie des techniques et, tant qu’à faire, les études stratégiques. Messieurs, vous qui tremblez devant une humble machine doté d’un moteur guère plus évolué que celui d’une tondeuse à gazon, je vous plains. Vous n’avez pas compris que, depuis le paléolithique, toutes les civilisations ont cherché à combattre à distance. Vous ne voyez pas qu’un drone ne se déploie pas tout seul depuis la France ou les Etats-Unis et vous semblez ignorer que, sur un théâtre, les drones ne sont pas seuls.

Vous n’avez manifestement jamais entendu parler de la terrifiante précision de l’artillerie en montagne ou de celle des bombardiers de la Deuxième Guerre mondiale, à vous effrayer des quelques centimètres de précision d’une GBU (la bombe, pas mon chat). J’oubliais que, manifestement, vous n’avez jamais entendu parler d’un tir de cette même GBU, à 40 km de distance, par un pilote qui n’a vu sa cible qu’au travers un pod aux mêmes optiques que celles du drone. Et vous feignez de croire qu’aucun autre Etat que la France ou les Etats-Unis cherchent à développer des drones alors que plus de cinquante Etats, pas tous impérialistes, en développent.

Bref et pour être méchant, je crois que vous ne savez pas lire (la littérature ne manque pas) et que vous vous êtes créé un débat à bon compte en jouant sur les peurs – qui peuvent se comprendre, je n’ai pas non plus envie de voir Schwarzenegger débarquer dans mon salon – d’une bonne partie de la population. Soyons clairs. Votre objet d’étude est intéressant et toutes les questions posées ne sont pas idiotes – d’autres le sont : à lire certain, on a l’impression d’un gars critiquant Newton à la tribune de l’ONU, de nos jours, parce qu’il a peur de se liquéfier au sol, gravité faisant.

J’irais même plus loin : sous les atours de la recherche scientifique, vous en servez un pâle ersatz, parce que vous en avez oublié les fondements. La lecture de ce qui c’est fait sur un sujet avant d’essayer de commencer à dire des trucs en est un. Une réflexion un peu objective délaissant le pathos lyrique pour une analyse prenant de la hauteur en est un autre. Ca s’appelle de la neutralité axiologique et c’est tout de même dommage que je doive le rappeler à des chercheurs en sciences humaines. Alors on peut dire que cette même science humaine n’a rien de neutre, qu’il faut prendre position et qu’en fait, les sciences humaines, ça n’existe pas. Mais, outre que je vous conseillerais de trouver un autre job, je vous rappellerais aussi que la neutralité n’est pas l’objectivité et que votre seule prise de position ne peut constituer un argument martelé à longueur de pages. Si c’était malgré tout le cas, il ne vous resterait qu’une solution, qui cadrerait avec cette éthique en toc : faites de la politique. Carl

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