« Couvre-feu » : quand la fiction prévoit le pire.

En novembre 1998 sortit sur les écrans américains un film que la critique, française mais aussi américaine, toujours prompte à la caricature, qualifia de militariste et de sensationnaliste.

 

Réalisé par Edward Zwick, "The siege" - trahi par son titre français "Couvre-feu" - relate avec un sens rare de l'anticipation une campagne terroriste conduite dans New-York par un groupe islamiste radical. Tourné en 1998 alors que les Etats-Unis subissaient le 7 août le double-attentat contre leurs ambassades à Nairobi et Dar-es-Salam, le film, qui n'est aucunement inspiré par l'attentat d'Oklahoma City comme l'affirme un article de Wkipédia, constitue un exemple presque parfait d'anticipation artistique d'un phénomène politique majeur.

Considéré par tous les membres des services de renseignement qui l'ont vu comme un film de référence, "The siege" a fait en effet preuve d'une troublante prescience :

- les modes opératoires décrits dans le film sont ceux qu'Al Qaïda et ses alliés mettront en oeuvre.

- les rivalités entre le FBI et la CIA montrées par le film, y compris les difficultés liées au traitement de sources humaines, sont parfaitement présentées au public, sans simplification excessive. Elles seront détaillées en 2004 dans le rapport de la Commission d'enquête sur le 11 septembre.

- les réactions du public et du pouvoir politique sont remarquablement anticipées, et Edward Zwick, au lieu de réaliser un film militariste (tout le monde ne peut pas être John Milius !), s'engage dans une dénonciation, que l'avenir rendra malheureusement crédible, des dérives qui peuvent tenter une démocratie en temps de crise. Gestion purement militaire d'un problème politique et policier, violation des libertés individuelles, paranoïa et calculs électoraux, rien n'échappe au scénario, porté par Denzel Washington (acteur fétiche de Zwick), Annette Bening (son meilleur rôle ?), Bruce Willis (glaçant en général sans état d'âme), Tony Shalhoub (interprête plus tard de "Monk") et l'acteur français Sami Bouajlila.

- les rafles de jeunes arabes, les internements dans des stades et la torture renvoient à une actualité douloureuse, alors que l'Administration Obama tente de solder l'héritage nauséabond des années Bush/Cheney.

- l'irresponsabilité et l'autonomie excessive des forces spéciales sont également traitées, et ceux qui connaissent ces dossiers savent de quoi il est question...

Taxé de racisme par plusieurs critiques et associations, ce film dénonce au contraire les excès du "tout sécuritaire" et évoque le poids de l'Histoire dans la génèse du terrorisme. S'il est techniquement faux de lier Al Qaïda à la question palestinienne, on peut au moins accorder au film le fait d'avoir appris à de nombreux spectateurs qu'il existait depuis 1948 une grave et profonde crise au Moyen-Orient...

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